Vieillissement et consentement – Le droit de choisir sa fin de vie

À l’occasion d’une conférence donnée le 8 octobre 2022 à Bruxelles sur le droit de choisir sa fin de vie, le Dr. Jacques Brotchi nous a livré son témoignage sur sa posture en tant que médecin.

Jacques Brotchi, neurochirurgien et professeur émérite de neurochirurgie à l’ULB, a consacré 45 années de sa vie professionnelle à sauver des vies et à soulager la souffrance. A l’occasion d’une conférence donnée le 8 octobre 2022 à Bruxelles sur le droit de choisir sa fin de vie, il nous a livré son témoignage sur sa posture en tant que médecin, dans le cadre de l’application des lois votées en 2002 sur les droits du patient, l’euthanasie et les soins palliatifs.

J’ai consacré 45 années de mon existence à sauver des vies, à soulager la souffrance. Quand j’ai terminé mes études de médecine en 1967 et entamé ma spécialisation en neurochirurgie, le scanner et l’imagerie par résonance magnétique (IRM) n’existaient pas. Nous nous battions pour sauver la vie, peu importent les séquelles. Quand la nuit j’étais appelé en urgence pour opérer un patient victime d’un traumatisme crânien grave dans le coma, j’étais félicité car je lui avais sauvé la vie. Quand nous opérions un malade atteint d’une tumeur cérébrale et qu’il se réveillait hémiplégique, c’était un succès. Aujourd’hui, c’est un échec opératoire. En effet, vu les progrès de la médecine, tant sur le plan diagnostique que thérapeutique, la notion de qualité de la vie, d’une vie plus longue qui vaut la peine d’être vécue sont devenues notre quotidien.

La frontière entre l’obstination thérapeutique et l’acharnement thérapeutique n’est pas toujours facile. La première est du devoir du médecin contrairement à la seconde. Personnellement, je me suis toujours battu pour ajouter de la vie aux années et non des années à la vie. J’ai toujours tenu compte des opinions et convictions de mes patients en ce qui concerne la qualité et la dignité de fin de vie. J’ai toujours respecté la liberté de choix de mes patients dans un dialogue ouvert et sans tabous.

L’année 2002 trois lois importantes ont été votées : la loi sur les droits du patient, celle sur les soins palliatifs et celle sur l’euthanasie. Je détaillerai brièvement les deux premières pour m’étendre plus longuement sur la troisième, même si elle ont été votées dans un ordre inverse.

Que dit la loi du 22 août 2002 sur les droits du patient ?

Elle insiste sur le droit au consentement libre et éclairé. Un patient doit donner son accord pour recevoir un traitement, et peut, également le refuser.

Tout citoyen a la possibilité́ de remplir une déclaration par laquelle il ou elle refuse certains traitements pour le cas où il ou elle ne pourrait plus s’exprimer à savoir le refus de la poursuite de soins médicaux au-delà du raisonnable dans une situation sans espoir d’amélioration.

Il est possible de refuser anticipativement tout acharnement thérapeutique, mais cette notion étant vaste et très personnelle, il est important de bien en préciser les conditions. Cette déclaration anticipée de refus de traitement n’est pas limitée dans le temps. Elle s’applique jusqu’à la fin de vie de la personne qui l’a rédigée, sauf, bien sûr, si la personne qui l’a rédigée la révoque alors qu’elle est encore capable d’exercer ses droits.

On a donc toujours la possibilité́ de changer d’avis, d’annuler ou de modifier sa déclaration. Il faut cependant être majeur pour faire cette démarche. Il est possible de se procurer les documents à remplir auprès du service de l’État civil de nos communes.

Il est vivement conseillé de rédiger cette déclaration avec l’aide de son médecin traitant afin d’être le plus précis possible et de lui en remettre un exemplaire. Il est également souhaitable de désigner un ou plusieurs mandataires qui, en signant le document, représenteront le patient pour l’exercice de ses droits, notamment pour faire respecter ses refus de traitements.

Que dit la loi du 14 juin 2002 sur les soins palliatifs ?

Les soins palliatifs sont des soins qui visent au confort du malade en phase de fin de vie. Tout médecin a le devoir de soulager les souffrances physiques et morales jusqu’au dernier jour de la vie. Lorsque les traitements curatifs n’ont plus d’impact sur un patient et que la guérison est compromise, les soins palliatifs prennent le relai pour assurer une fin de vie dans les meilleures conditions possibles et ils sont remarquablement développés dans notre pays.

Les soins palliatifs tendent à garantir et à optimaliser aussi longtemps que possible la qualité́ de vie pour le patient et l’aide psychologique pour ses proches et aidants proches. Si les malades sont soulagés grâce à des doses de morphine adaptées aux besoins, ils sombrent progressivement dans le coma jusqu’à ce que la maladie l’emporte ce qui peut durer de nombreuses semaines souvent pénibles pour l’entourage. Quand le patient est comateux et ne se rend plus compte de la présence de ses proches, ce sont ces derniers qui souffrent quand la mort tarde à venir. D’où l’importance du soutien psychologique à la famille.

Que dit la loi du 28 mai 2002 relative à l’euthanasie et quelles sont les conditions pour qu’une euthanasie soit légalement pratiquée?

Cet acte doit être pratiqué par un médecin sur une personne majeure ou mineure émancipée capable et consciente au moment de sa demande.

La demande doit être volontaire, réfléchie et répétée sans pression extérieure.

Le patient doit se trouver dans une situation médicalement sans issue à la suite d’une affection grave et incurable causée par une maladie ou un accident.

Le patient doit éprouver une souffrance physique et/ou psychique constante, insupportable et inapaisable causée par cette affection médicale (sentiment de déchéance)

Si le décès n’est pas prévu à brève échéance, l’avis d’un 3e médecin spécialiste de la pathologie est requis quant à la qualité de la demande du patient et du caractère inapaisable de ses souffrances. Un délai d’un mois devra être respecté entre la demande écrite et l’euthanasie.

Le médecin se procure lui-même les produits auprès du pharmacien.

Dans les 4 jours qui suivent l’euthanasie, le médecin doit en faire la déclaration auprès de la Commission Fédérale de Contrôle et             d’Évaluation de l’Euthanasie.

Mais cette loi est imprécise en ce qui concerne les troubles cognitifs. La perte de conscience peut revêtir d’autres facettes que le coma, telle la perte de conscience de son environnement comme la non reconnaissance de ses proches ou du lieu où l’on se trouve comme on le voit dans la maladie d’Alzheimer, maladie incurable à ce jour, qui entraîne la perte progressive et irréversible des fonctions mentales et notamment de la mémoire, l’ensemble finissant par évoluer vers la démence.

Quid de la clause de conscience ?

Un médecin n’est jamais obligé de pratiquer une euthanasie.

Il peut refuser par ce que les conditions légales ne sont pas présentes mais aussi pour des raisons personnelles liées à ses convictions éthiques et/ou religieuses.

Depuis le 5 mars 2020, la loi précise que la clause de conscience est personnelle et non institutionnelle. En effet, après 2002, il est arrivé que des établissements de soins interdisaient à leurs médecins de pratiquer une euthanasie au sein de l’institution, ce qui n’est plus possible désormais depuis mars 2020.

Quid de la déclaration anticipée ?

La déclaration anticipée par laquelle on souhaite être euthanasié si l’on répond aux conditions de la loi de 2002 est utile si l’on est inconscient. En effet, un accident avec comme conséquence un coma irréversible ou une hémorragie cérébrale gravissime peuvent se produire à n’importe quel âge. Il est donc possible, pour celles et ceux qui le souhaitent de signer une demande d’euthanasie qui, pour moi, est un testament de fin de vie dans la dignité.

Comme pour le refus d’acharnement thérapeutique, un formulaire adéquat est disponible auprès des services d’État Civil de nos communes ou auprès de l’ADMD (Association pour le Droit de Mourir dans la Dignité).

La demande anticipée doit être rédigée en pleine conscience, ce qui est attesté par deux témoins majeurs dont l’un des deux ne peut avoir aucun lien de parenté ou intérêt matériel avec le requérant.

Il est recommandé de choisir une ou deux personnes de confiance qui s’assureront en temps voulu que les volontés du patient sont respectées car la maladie ou l’accident peuvent survenir à n’importe quel âge.

Cette demande anticipée doit être datée et signée le même jour par le déclarant, les deux témoins et la ou les personnes de confiance.

Avant, cette déclaration anticipée était caduque au bout de 5 ans et devait être renouvelée. Depuis le 5 mars 2020, elle est pérenne pour toute nouvelle demande introduite à partir de cette date.

Il est recommandé de remettre un exemplaire à son médecin de famille pour s’assurer de son concours en cas de besoin mais aussi de déposer un exemplaire à l’État Civil de sa commune afin que la demande soit enregistrée au Service Fédéral de la Santé Publique. C’est important en cas d’admission à l’hôpital en état d’inconscience irréversible car le médecin de garde (ceci vaut également au domicile) pourra consulter 24h/24 cette banque de données et voir que le patient a déposé une demande anticipée d’euthanasie et faire appel à la ou aux personnes de confiance désignées par le malade.

Comment se déroule une euthanasie ?

Elle pourra se pratiquer par voir intraveineuse, via une perfusion placée à l’avance, ou par voie orale selon le choix de la personne concernée, qui aura dit au revoir à ses proches et qui s’endormira sans douleur, en milieu hospitalier ou à domicile, encore une fois selon son choix.

Avant tout acte, le médecin pose une dernière fois la question. Jusqu’à la dernière minute, le patient peut changer d’avis.

Via la perfusion posée à l’avance, des sédatifs et barbituriques seront injectés pour induire le coma et le décès (Thiopental, Propofol) et, si nécessaire, un paralysant neuromusculaire sera ajouté.

Si choix de la personne concernée est la voie orale (plus lente), l’absorption de la potion de barbituriques est faite en présence du médecin qui se tient prêt à injecter un paralysant neuromusculaire si nécessaire.

Loi de 2014 relative aux mineurs

En 2013 et 2014, il y a eu un changement notoire. Après deux années d’auditions de nombreux experts, le Sénat d’abord (en décembre 2013) et la Chambre ensuite (en février 2014) ont adopté́ la loi étendant aux mineurs la possibilité́ de faire appel à l’euthanasie.

Les conditions de base sont les mêmes. Par contre, la souffrance psychique n’est plus retenue comme facteur déterminant.

La faculté de discernement a été introduite, à savoir, la maturité du mineur qui exprime la demande de s’en aller. Entre 2014 et 2021, seuls 4 mineurs ont été euthanasiés.

Les parents, ou à défaut les représentants légaux du patient mineur, doivent marquer leur accord sur sa demande.

Élément important : des parents ne peuvent demander une euthanasie pour leur enfant. Le législateur a voulu écarter toute possibilité d’eugénisme.

Loi du 15 mars 2020

J‘ai déjà énoncé deux des trois points importants mais je les résume tous les trois ci-dessous :

  • Pérennité de la déclaration anticipée mais pas d’effet rétroactif
  • Clause de conscience personnelle et non institutionnelle
  • Transfert du dossier dans les 7 jours à une autre équipe médicale ce qui est essentiel dans le cas où le médecin ou les médecins concernés font valoir leur clause de conscience, ce qui est leur droit car personne n’est obligé de pratiquer une euthanasie en opposition avec sa conscience.

La Commission Fédérale de Contrôle et d’Évaluation de l’Euthanasie (CFCEE)

Cette dernière a été installée par la loi de 2002 et elle est chargée de vérifier si tous les actes pratiqués l’ont été en conformité avec la loi. Elle établit également un rapport annuel et vérifie, entre autres, que l’euthanasie a été pratiquée chez un patient capable qui a fait une demande réfléchie et répétée, une demande écrite, qui était dans une situation médicale sans issue, qui était l’objet d’une souffrance constante, inapaisable et insupportable causée par une affection grave et incurable.

Le nombre de déclarations reçues en 2021 a été de 2699. La majorité était rédigée en néerlandais (74%), concernait des patients âgés de 60 à 89 ans. Dans plus de la moitié des cas, l’euthanasie a eu lieu au domicile.

Aucun mineur concerné 2021 (de 2014 à ce jour, seulement 4 mineurs euthanasiés). Enfin, moins de 1% des euthanasies concernait des patients inconscients ayant fait une déclaration anticipée.

La CFCEE fait également un rapport sur les affections principales à l’origine des euthanasies. En 2021, la liste était la suivante :

Cancers (62,8%), Polypathologies (17,7%) ( maladies cardiovasculaires, accidents vasculaires cérébraux, diabète, arthrite,  maux de dos,….), Maladies du système nerveux (7,9%), Appareils circulatoire & respiratoire (6%), Troubles cognitifs (1%), Affections psychiatriques (0,9%).

Ceci est la situation en Belgique. Qu’en est-il dans nos pays voisins ?

Aux Pays-Bas et au Grand-Duché de Luxembourg, la loi est fort semblable à la nôtre excepté concernant les mineurs. Récemment, l’Espagne s’est également alignée sur nous dans les grandes lignes mais en Suisse comme en France, la situation est fort différente car dans ces deux pays, l’euthanasie telle que pratiquée chez nous est formellement interdite et punie sévèrement par la loi.

En Suisse, l’euthanasie reste sanctionnée pénalement. Cela étant, le Code pénal suisse comporte une disposition (art 115) qui condamne celui qui, poussé par un motif égoïste, aide au suicide. A contrario, en l’absence d’un motif égoïste, la personne qui porte assistance par compassion ne devrait pas tomber sous le coup du délit. C’est l’argumentation qui a été développée pour justifier l’assistance au suicide. Le suicide assisté est légal dans certains cantons.

Les conditions sont assez semblables à celles de la loi belge de 2002 sur l’euthanasie mais les malades doivent être conscients et les mineurs sont exclus. Il n’y a pas de déclaration anticipée possible mais bien le dépôt d’une demande patient conscient.

Les citoyens suisses peuvent faire appel à l’Association Exit et payer une modique cotisation annuelle d’environ 40 FS. Les associations Dignitas et Lifecircle acceptent les étrangers. Le coût est d’environ 10.000 Euros.

En pratique, Le médecin prescrit les doses adéquates pour préparer le sirop de barbituriques si la voie orale est choisie ou le cocktail s’il s’agit d’une perfusion. Son rôle s’arrête là. Il n’est pas obligé de rester sur place. Le patient avale son sirop ou tourne l’ailette de la perfusion quand il le décide. C’est ce que l’on appelle le suicide assisté qui est interdit en Belgique.

Le patient peut demander qu’un médecin soit présent et alors il s’agit d’un suicide médicalement assisté : médecin présent ce qui est toléré en Belgique afin d’éviter les souffrances d’un suicide raté.

En France, l’euthanasie est formellement interdite. Il s’agit d’un acte criminel.

Il existe une loi, la loi Leonetti-Claeys (2016) qui permet la sédation profonde et continue en extrême fin de vie jusqu’au décès si elle est demandée par un patient atteint d’une affection grave et incurable dont le pronostic vital est engagé à court terme et qui présente une souffrance réfractaire aux traitements ou lorsque sa décision d’arrêter un traitement engage son pronostic vital à court terme et est susceptible d’entraîner une souffrance insupportable.

Mais qu’est-ce la sédation profonde ?

Elle consiste à administrer des hypnotiques qui vont plonger le patient dans un sommeil qui ne sera pas très profond, sans quoi une assistance respiratoire serait nécessaire comme dans une anesthésie générale. Parallèlement, toute alimentation et hydratation sont interrompues. Des morphiniques sont parfois ajoutés quand existe une symptomatologie douloureuse car le sommeil léger ne supprime pas les douleurs, lesquelles peuvent même réveiller le patient qui meurt au bout de quelques jours, voire une à deux semaines en fonction de son état. La mort survient naturellement par déshydratation et inanition.

Ce n’est pas ce que j’appelle, en tant que médecin, une mort douce dans la dignité car elle ne garantit pas l’absence de souffrances qui est si importante en Belgique. De plus, la loi française ne l’autorise qu’en extrême fin de vie. Ce qui explique que certaines personnes, dûment informées, cherchent une solution en Suisse ou en Belgique quand elles répondent aux critères légaux de ces deux pays.

En conclusion, je rappelle que la décision d’euthanasie appartient au malade seul. Il ne s’agit pas d’une action qu’un médecin peut effectuer à la demande de la famille ou sur décision personnelle. La loi n’oblige pas un médecin à exécuter un acte s’il est contraire à ses convictions. C’est ce qu’on appelle la liberté de conscience.

L’important, pour moi, est le respect des convictions de chacun et de tout faire pour garantir à celles et ceux qui le souhaitent, de choisir leur fin de vie dans la dignité et sans souffrances, que ce soit via des soins palliatifs de qualité ou par euthanasie dans le respect strict des lois de 2002, 2014 et 2020.

                                                                       Jacques Brotchi

                                                                       Professeur émérite de neurochirurgie ULB

                                                                       Président honoraire du Sénat